Chapitre XIV
 LA DECISION FINALE

– Bien, dit Valleroy en se débarrassant du harnais et en rentrant les pans de sa tunique dans son pantalon, où sont tes vêtements ?

Aisha considéra son linceul blanc.

– J’ai été obligée de les laisser au vestiaire.

Ses yeux semblaient vagues. Elle vacilla, prête à s’évanouir. Valleroy l’entoura de son bras, pestant contre lui-même d’avoir pris le temps de remarquer combien cela lui était doux.

De l’autre main, il ramassa un des harnais. Il pourrait toujours s’en servir comme arme.

– Allons chercher tes vêtements. Tu ne peux pas sortir ainsi.

Ils trouvèrent ses effets dans la pièce adjacente. Elle s’habilla rapidement tandis qu’il arpentait la pièce.

– Il nous faut voler trois chevaux et annihiler les autres. Sais-tu où ils entreposent le gaz qu’ils expérimentent sur toi ?

– Le truc qui rend fou ?

– Oui, ou celui qui fait dormir.

– Dans la pièce située à l’autre extrémité du bâtiment, au rez-de-chaussée.

– Bien. Nous devons passer par-là pour atteindre les écuries. Allons-y !

– Cela ne servira à rien. Ils vont repérer nos champs de selyn.

– Peut-être. Mais nous ne pouvons pas nous asseoir en attendant qu’ils viennent nous chercher et tout recommencer plus tard !

– Evidemment !

Aisha apparut à Valleroy comme une rose que l’on aurait trop piétinée. Ses yeux n’étaient que deux grands bleus.

– Te sens-tu en état de me suivre ?

– Si ça ne va pas, tu n’auras qu’à me laisser là !

En se mordant la lèvre, Valleroy descendit l’escalier. L’ordre d’Andle avait été respecté ; le bâtiment était vide. La pièce renfermant les bouteilles de gaz était protégée par un verrou précaire que Valleroy brisa de quatre coups d’épaule. Il se retrouva devant la salle d’interrogatoire des pillards… une pièce qui évoquait de terribles souvenirs pour Aisha. Il lui indiqua la direction opposée.

– Va surveiller la porte d’entrée, celle près du bureau. Je prends le cylindre et je te rejoins.

Elle obéit sans un mot et Valleroy pénétra dans ce théâtre glacial qui ressemblait tant à une salle d’opération d’hôpital, mais n’en était pas une. Le long du mur, il découvrit une rangée de bouteilles de gaz baguées de couleurs différentes et étiquetées en simelan. Les termes lui étaient inconnus. Il se souvenait vaguement du cylindre utilisé pour endormir Aisha. Il portait une bande de couleur mauve. Après une courte recherche, il en trouva un à l’extrémité de la rangée. Il était plus grand que celui qu’il avait aperçu et ne possédait pas de masque facial, mais était simplement doté d’un mécanisme à valve qu’il croyait pouvoir maîtriser. Avec la bouteille étonnamment lourde sur une épaule et le harnais dans l’autre main, il rejoignit Aisha à la sortie voisine des écuries. Elle lui tendit un paquet de clefs.

– Regarde ce que j’ai trouvé dans le bureau !

Valleroy l’examina avec intérêt.

– Les clefs des cages !

Il déposa le cylindre sur le sol et fouilla parmi les clefs. Chacune d’elles était numérotée. Valleroy se souvenait du numéro peint sur la trappe de Klyd. S’il pouvait découvrir une clef qui y corresponde… Aux trois quarts du trousseau, il la trouva, l’arracha et la fourra dans sa poche.

_ Il va falloir nous dépêcher. Es-tu capable de seller un cheval ?

– Si ça ne va pas, je monterai à cru.

Elle le dépassa en courant et franchit la porte avant qu’il eût démarré.

Quand il atteignit la pénombre de l’écurie, elle préparait dans la stalle la plus proche un superbe hongre qui paraissait rapide et efflanqué.

Ses cheveux pendaient en mèches et se plaquaient à son visage luisant de sueur. Valleroy soupçonna qu’elle avait été brûlée par Andle, mais il n’y avait rien qu’il pût faire pour le moment pour soigner un choc de transfert.

Il déposa le cylindre et choisit une selle pour l’étalon qui lui faisait face. S’il y avait eu quelqu’un de service à l’écurie, ils auraient déjà été interpellés. Cela ne servait à rien de perdre son temps à fouiller le bâtiment. Une poignée seulement de stalles étaient occupées. Le camp était désert. Un seul Sime, cependant, pouvait signifier la fin de leur évasion. Valleroy serra la sous-ventrière et passa au box voisin où un autre hongre luisant piaffait d’impatience. Les Runzis possédaient les meilleurs chevaux que Valleroy eût jamais vus.

Il rapprocha les trois montures et tendit les rênes à Aisha.

– Emmène-les dehors. Je veux endormir les autres. Vas-y !

Il fut obligé de la soulever jusqu’à sa selle. Elle avait tout juste la force de se tenir assise. Il donna une claque sur le flanc de sa monture et saisit la bouteille de gaz. Après trois essais frénétiques, Valleroy se souvint de la manière dont avait été scellé l’étui à message. Il découvrit, en retrait, trois boutons de sécurité qu’il fallait pousser simultanément. Ils étaient conçus pour des tentacules non pour ses doigts. Il dut les coincer avec des éclats de bois, et le gaz finit par s’échapper régulièrement. Bloquant sa respiration, il pulvérisa les stalles occupées puis abandonna le cylindre dans la mangeoire près de la porte. Ensuite, les poumons prêts à éclater, il se précipita dehors.

Aisha l’attendait derrière le coin du bâtiment, les deux montures vides à côté d’elle. Elle était tassée sur sa selle, les yeux à demi clos sous la brillance du soleil. Elle ne remarqua pas le Sime qui sortait du baraquement le plus proche et qui les regardait, stupéfait.

Sans ralentir sa course, Valleroy sauta sur son cheval et chargea le pillard abasourdi en faisant tournoyer les lanières du harnais comme un lasso. Une seconde avant que la masse sifflante des courroies ne heurtât sa tête, le Sime rassembla ses esprits… il y avait bien un Gen qui l’attaquait… et voulut se dégager. Même la vitesse augmentée d’un Sime ne parvint pas à compenser tout à fait l’effet de surprise.

Une boucle du harnais emprisonna le cou du pillard, suivie tout aussitôt par Valleroy qui se laissa tomber du haut de sa monture, entraînant le Sime sur le sol. Par véritable chance. Valleroy atterrit sur le dos du pillard, là où les tentacules d’acier ne pouvaient immédiatement l’atteindre. Il saisit l’avantage de cet instant fugace pour tirer violemment en arrière la tête du Sime. Il y eut un claquement étouffé de l’épine dorsale. Valleroy n’attendit pas que l’homme mourût. Il regagna sa selle après avoir démêlé son harnais.

– Aisha, je vais chercher Klyd. Prends la route du sud. Je te rejoins immédiatement. Ne t’arrête sous aucun prétexte !

Valleroy saisit au vol les rênes du cheval de Klyd et fonça vers les cages, en s’aplatissant contre l’encolure de sa monture. À présent qu’ils avaient été découverts, la vitesse était leur seul espoir… son seul espoir, pensa Valleroy. Il n’osa pas penser à ce qu’il devrait faire ensuite, ou à ce qui pourrait arriver après…

Il déboucha d’une allée entre les casernes et s’arrêta à côté de la cage de Klyd. Le médiateur s’agrippait toujours aux barreaux, se démenant avec une faible détermination. Valleroy savait que Klyd n’était plus responsable de ses propres actes. Il savait que le manque le pousserait à tuer à l’instant même, sans se soucier du risque d’être repris.

Abandonnant son harnais sur le cou du cheval. Valleroy se dressa sur ses étriers et se hissa sur le toit de la cage. Il inséra la clef dans le verrou de la trappe, puis il se coucha pour jeter un coup d’œil par-dessus l’arête du toit avant d’ouvrir la porte.

– Klyd, je vais lever la trappe. Ton cheval est là. Suis-moi. Quand nous serons hors du camp, je ralentirai afin que tu puisses me rattraper. Compris ?

Il n’y eut aucune lueur de reconnaissance dans ces yeux torturés. Valleroy murmura une prière en ouvrant la trappe. Puis il sauta sur sa selle et fouetta les flancs du hongre. Le cheval qu’il avait choisi pour Klyd était le plus lent, mais il n’était pas encore sûr de gagner la course.

Valleroy rejoignit Aisha à mi-chemin du versant de la montagne et, en passant, il donna à son cheval une tape encourageante sur la croupe.

Ils émergèrent de la piste et plongèrent dans la dense forêt de pins. Avec la vitesse, les troncs d’arbres formaient un mur solide. À l’ombre, Valleroy sentit la morsure glaciale du vent des montagnes transpercer le vêtement léger qu’il portait. Klyd les rattrapait trop vite. Il oublia le froid en éperonnant son cheval dans un sprint final vers la sécurité. Tout en galopant, il pensa à ce qu’il aurait à faire.

Toute leur chance du moment ne servirait à rien s’il ne pouvait sauver Klyd afin de reconstruire Zeor. Les émotions du matin le tourmentaient toujours. Il savait que sa seule chance de survie reposait dans son consentement de sacrifier sa vie pour celle de Klyd. Mais il fallait que ce fût un engagement authentique. Au rythme hypnotique des sabots du cheval, il passa en revue ses arguments.

Finalement, ce fut ce mot de Feleho Ambrov Zeor qui éclaira Valleroy. « Naztehr ». Il avait été honoré de ce titre… À présent, le temps était venu de gagner cet honneur. Et il désirait réellement le mériter.

Il laissa Aisha le dépasser. Quand ils traversèrent une clairière où des rayons de soleil transperçaient les ténèbres denses, Valleroy mit son cheval au pas sans l’avertir. Klyd avait déjà rejoint Valleroy quand elle le remarqua.

Les deux chevaux écumaient et envoyaient des nuages de vapeur qui s’accrochaient aux rayons de soleil. Les arbres en voûte au-dessus d’eux ressemblaient tellement à une cathédrale que Valleroy se dit que ce serait un bel endroit pour mourir. Las, il mit pied à terre et attendit, les chevilles enfouies dans les aiguilles de pins, l’arrivée du médiateur.

Dans une explosion de mouvements, le Sime sauta vers Valleroy, les tentacules déployés, le visage déformé par une tension telle que n’importe quel Gen eût été terrifié. Pourtant, Valleroy ne vit plus un prédateur féroce prêt au meurtre, mais son partenaire qui, après avoir sacrifié sa famille et sa réputation, implorait à présent de l’aide pour éviter la disgrâce finale de son nom… la mise à mort.

Quelque chose de profond chez Valleroy répondit à cet appel, poussant ses propres mains à la rencontre des tentacules. Il ne pouvait pas tolérer que Zeor fût disgracié !

Tandis que les latéraux suintants pointaient vers ses bras, Valleroy éprouva une sensation de brouillard qui se levait. Il eut à peine conscience des lèvres qui écrasaient les siennes. Cette clarté douloureuse de ses sens augmenta jusqu’à ce que, par un effet de symbiose, Valleroy devînt à la fois donneur et receveur dans cet échange.

Ses propres entrailles chavirèrent sous le manque et, d’une certaine manière, il sut ce que c’était.

En réponse à ce besoin qu’il considérait comme le sien, il déchargea toute la selyn emmagasinée en lui. Avec une outrance frénétique, il nourrit cette exigence qui paraissait à la fois sans fond et la sienne propre.

Lentement, cette appétence diminua. Au fur et à mesure que le débit se ralentissait, Valleroy ressentit une double satisfaction qui apaisait tout son être, l’entraînant dans les ténèbres les plus profondes qu’il eût connues.

Ce n’étaient pas les ténèbres de l’inconscience, pas tout à fait. Mais plutôt les ténèbres de la séparation. Les ténèbres de la désunion. Les ténèbres de la désintégration. Les ténèbres qui suivaient un dangereux éclat de lumière. Il était seul, un être seul de nouveau à qui il restait une sensation de muscles endoloris et l’absence de cette substance étincelante… la selyn. La selyn nager avait disparu. Son corps ne percevait plus le puissant champ gradient. Même – et, à présent, il savait ce que le terme signifiait – le selur nager avait disparu. Il fut parcouru d’un frisson brusque, coupé de cette réalité supérieure qui avait été la sienne pendant un bref instant.

Il ouvrit les yeux et se retrouva couché dans les aiguilles de pins. Klyd était assis les jambes croisées et il lui tenait gentiment la main. Le visage du médiateur avait repris son aspect de jeunesse vigoureuse et ses yeux brillaient à nouveau d’intelligence.

Des larmes apparurent dans les yeux de Valleroy.

– Nous l’avons fait !

– Oui, mais je ne suis pas certain de ce que nous avons fait ! Je n’ai jamais rien ressenti de pareil.

– En tout cas, cela n’a pas été douloureux.

– Apparemment non, dit Klyd avec un sourire qui adoucit ses traits durs. Peux-tu te lever ?

Valleroy s’assit, surpris de ne pas ressentir cette impression d’agonie qui l’avait hanté lors de ses premiers jours à Zeor.

– Je me sens bien, dit-il en se levant, imité par Klyd.

Alors qu’il se redressait, Aisha arriva en courant, les bras ouverts, pour l’embrasser.

– Hugh ! Elle sanglota sur son épaule, s’appuyant de tout son poids contre lui. Je croyais que tu étais mort !

– Je suis très heureux que tu sois heureuse que je ne sois pas mort. Je t’aime !

– Je t’aime aussi, brute !

Il l’embrassa et elle lui rendit son baiser, comme s’ils venaient de se marier. Klyd les interrompit après un moment.

– Dois-je comprendre que Zeor vient de gagner un nouveau membre gen ? Le Sectuib de la Communauté a le droit de célébrer les mariages…

Le couple se sépara comme s’il venait de se rendre compte qu’il n’était pas seul. Valleroy s’aperçut que le médiateur ressentait beaucoup plus intensément la féminité d’Aisha que lui-même. Il savait que la Communauté attachait tellement de valeur au gène du médiateur que celui-ci avait le droit de prendre n’importe quelle femme dont il avait envie, quand il le voulait.

Curieusement, Valleroy ne fut pas jaloux quand Klyd posa une main sur la joue d’Aisha. Si le Sime avait eu une idée quelconque la concernant, il l’oublia immédiatement car elle s’évanouit.

Avant même qu’elle n’eût fermé les yeux, Klyd l’avait déposée sur le sol et procédait à un examen médical impersonnel.

– Elle a été légèrement brûlée, constata-t-il. Dis-moi ce qui est arrivé à Andle.

Valleroy le lui expliqua, achevant par l’état dans lequel ils avaient abandonné le corps. Le médiateur fut horrifié.

– Aucun être humain ne devrait souffrir une telle agonie. S’il a la constitution d’un médiateur, il lui faudra des semaines avant de mourir. Les Runzis ne sauront pas que la mort est inévitable, car ils ne disposent d’aucun médiateur pour le leur expliquer. Dire que la main de Zeor est impliquée dans ce crime ! L’histoire nous pardonnera-t-elle ?

Valleroy vit des larmes se former dans les yeux du Sime.

– Andle était responsable de la mort de ton grand-père, de ta femme, de ton héritier et de Feleho. Il l’a mérité.

– Non. Tu aurais dû achever le travail.

– J’ai cru que c’était terminé. Je suis désolé d’avoir souillé le nom de Zeor. Mais j’ai fait ce que je croyais devoir faire.

Par-dessus le corps allongé d’Aisha, Klyd saisit la main de Valleroy.

– Comment peux-tu te fâcher contre moi, après ce que nous avons fait ?

Des bribes de ce rapport profond qui avait soudé les deux hommes dans le transfert subsisteraient encore dans cet attouchement.

– Je ne suis pas fiché, remarqua Valleroy.

– Alors, allons-y, emmenons ta femme à Zeor. J’ai deux enterrements à célébrer. Nous aurons besoin d’un mariage pour nous rappeler que la vie continue. Dans quelques années, peut-être comprendras-tu à propos d’Andle…

– Nous ne pouvons t’accompagner à Zeor. Stacy nous attend et j’ai une récompense à toucher. Je sais à présent ce que je veux en faire. À moins qu’Aisha ne soit blessée…

– Non, elle ira mieux. C’est vraiment une femme extraordinaire. Tu as de la chance.

– Klyd, je suis désolé pour Yenava. C’est de ma faute…

– Absolument pas. Pas plus que ce n’est de ma faute si je suis né avec les gènes des Farris. Tant que je vivrai, j’aurai encore une chance d’avoir un héritier. Nous te devons cette chance.

– J’ai pourtant l’impression que je dois plus à Zeor que Zeor ne me doit. Je crois que j’ai trouvé le moyen d’équilibrer la balance.

Aisha s’étira et ouvrit les yeux. Immédiatement, Klyd joua avec sollicitude son rôle de médecin, apaisant et encourageant. Elle le rejeta impatiemment, sans faire mine de se lever pourtant.

– Equilibrer quelle balance ?

Valleroy respira profondément.

– Aisha, veux-tu m’épouser ?

– Bien sûr. J’ai déjà pris cette décision il y a plusieurs années. Mais tu as toujours été si lent ! De quel équilibre parlais-tu ?

– Je ne sais pas exactement. Celui de la justice, peut-être. Que dirais-tu d’établir une liaison clandestine à la frontière et de passer le reste de nos jours à tourner la loi des deux côtés ?

– Je ne comprends pas de quoi tu parles.

Valleroy lui parla de la propriété et de la rente qu’on lui avait promises et dit comment il voulait passer le restant de son existence à peindre.

– Je pourrais choisir un emplacement en territoire frontalier… adjacent même à celui de Zeor. Peut-être me concéderont-ils quelques hectares supplémentaires. Le terrain est tellement bon marché par-là ! Puis nous établirons une Communauté à nous. Je n’ai pas encore choisi de nom…

– Que dirais-tu, suggéra Klyd, de la Communauté de Rior ?

– Qu’est-ce que cela signifie, demanda Aisha.

– L’avant-point, le phare, la balise, la proue d’un navire ou même l’avant-poste d’une armée.

– Oui, approuva Valleroy, j’aime ce nom. Au début, nous ne garderons aucun Sime, mais nous aiderons les gosses à passer la frontière. Peut-être qu’avec le temps, nous pourrons les empêcher de tuer lors du premier transfert. Nous aiderons également les Gens échappés du Territoire Intérieur à s’adapter à notre manière de vivre. Je ne sais pas… il existe tellement de possibilités.

– Des possibilités passionnantes ! s’enthousiasma Aisha. Quand commençons-nous ?

– Crois-tu que tu puisses tenir sur ton cheval ? demanda Valleroy.

– Nous ne pouvons pas passer la nuit ici. Les Runzis sont probablement disséminés dans ces collines.

– Il n’y en a pas à des kilomètres à la ronde. Nous sommes libres pour le moment, affirma Klyd. Mais je préférerais que vous veniez à la Maison.

– J’ai promis obéissance à Stacy avant même de connaître Zeor. Si je ne tiens pas ma promesse envers lui, que vaudra ma parole envers Zeor ?

Klyd éclata de rire en secouant comiquement la tête.

– Et tu te plains de la philosophie sime !

Il aida Aisha à se mettre sur ses pieds et ils rassemblèrent leurs montures.

À cheval, le médiateur donna libre cours à ses sentiments.

– Hugh, tu vas me manquer. J’espère que tu viendras bientôt à Zeor !

Valleroy grimaça.

– Surtout quand tu seras en manque ! Tu ne pourras pas m’en écarter. Je veux savoir si nous pouvons refaire cela !

– C’était… unique !

Klyd étendit ses tentacules et en vérifia la fermeté du bout de ses doigts.

– Donnons-nous rendez-vous, alors… Attendons trente jours pour raviver le gradient et nous essayerons à nouveau.

– Et Denrau ? demanda Valleroy.

– Il entraînera Zinter.

– Et après ? Combien de temps pourrons-nous…

Klyd eut l’air mal à l’aise.

– Nous verrons. En attendant, Rior peut toujours solliciter notre aide…

Valleroy inclina cérémonieusement la tête.

– Rior remercie le Sectuib Ambrov Zeor.

– C’est à Zeor que revient l’honneur de parrainer une nouvelle Communauté.

– Je doute que le Tecton nous reconnaisse jamais !

Klyd éclata du rire libre, épanoui, d’un homme qui ne connaît plus de frontières.

– Alors, tu créeras ton propre Tecton !

Valleroy rit aussi, inconscient du chemin tortueux qui allait le conduire à la réalisation de cette prophétie.

Aisha coupa court à ces éclats masculins.

– Klyd, tu seras toujours le bienvenu à la Maison de Rior, comme si c’était la tienne…

– Parce que c’est la tienne, corrigea Valleroy. Sans le Sectuib Farris, aucun de nous n’aurait survécu jusqu’à ce jour. Et nos petits-enfants seraient morts avant d’être nés !

– La réalisation de prédiction de Zelerod n’est pas encore écartée, à peine reportée, constata Klyd. Un travail immense m’attend à Zeor, mais je ne sais comment je vais expliquer ton absence.

– Oh, dis-leur simplement que j’ai rencontré une fille qui ne voulait pas vivre en Territoire Intérieur. Dans quelques mois, ils comprendront pourquoi.

Klyd inclina la tête.

– Au revoir, alors… jusqu’à ce que nous nous rencontrions à nouveau.

Valleroy fit pivoter son cheval pour qu’il pût chevaucher aux côtés d’Aisha.

– Au revoir et bonne chance à Arensti !

– Je n’aurai pas besoin de chance, j’ai l’inscription du gagnant !

Accompagnés par le tambourinement étouffé des sabots foulant les aiguilles de pin parfumées, ils se séparèrent, les Gens allant vers la passe Hanrahan et le Sime vers une marche funèbre solitaire. Derrière les rayons de soleil rendus opaques par la brume, l’avenir leur était aussi caché que les ombres en vousseaux de cette cathédrale de plein air consacrée à jamais par ce qui s’était déroulé là.